Lettre ouverte de Mgr Laliberté sur la prière dans l'espace public
Crédit photo: Facebook_MarcheDuPardonNSDeMontreal
PRIER N’EST PAS DANGEREUX
Laval, le 9 décembre 2024
Les évêques catholiques du Québec éprouvent une vive inquiétude face à l’effacement des personnes et des communautés croyantes de l’espace public québécois réclamé récemment par plusieurs intervenants. L’idée d’interdire les prières à l’extérieur des lieux de culte, en particulier, nous semble rater la cible de promouvoir un vivre-ensemble apaisé sur le territoire d’un État laïc.
Une telle interdiction serait inapplicable. Les parcs publics accueillent toutes sortes de pratiques qui nécessitent de temporairement limiter l’accès à un secteur donné : pensons à une partie de balle ou de ballon. Que certaines de ces pratiques revendiquent une dimension spirituelle ou religieuse plus ou moins affirmée est tout autant légitime. Si cela est interdit, qui vérifiera par exemple le niveau d’adhésion d’une personne effectuant une salutation au soleil dans un cours de yoga ?
Par ailleurs, un groupe religieux peut organiser un rassemblement public pour d’autres fins que la prière, notamment recueillir des fonds pour un organisme d’aide aux personnes en situation de pauvreté, ou vivre un moment de détente commun. Cherchera-t-on alors à s’assurer qu’aucune prière n’est récitée durant une guignolée ou avant un repas amical ? Comment identifier une prière, et surtout, pourquoi chercherait-on à le faire ? Prier n’est pas dangereux.
Force est de reconnaître que les pratiques visées par une telle proposition d’interdiction ne sont pas toutes les actions publiques de personnes croyantes, mais celles de groupes religieux minoritaires qui sont perçus comme différents et, pour cette raison, menaçants pour l’identité québécoise. Rappelons que toute identité se transforme et se nourrit de contributions variées. La religion catholique a par exemple longtemps été une partie intégrante de l’identité québécoise ! Pour leur part, à l’instar du pape François, les évêques catholiques sont d’avis que le dialogue interreligieux sincère et bienveillant est aujourd’hui essentiel pour construire une société résiliente en ces temps de crises environnementale et socio-économique.
La laïcité de l’État, institution chargée d’administrer les lois et les règlements nécessaires à la paix sociale et d’offrir des services essentiels à l’ensemble de la population en vue du bien commun et de la protection des personnes vulnérables, n’exige pas la laïcité de la société. Cette dernière est composée d’individus, de familles et de groupes qui s’associent librement les uns aux autres pour des raisons et des fins légitimes diverses. L’une d’elles est l’expression collective de croyances religieuses.
L’importance et la légitimité de cette fin sont reconnues par la Déclaration universelle des droits de l’Homme (1948), à l’article 18 : « Toute personne a droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion ; ce droit implique la liberté de changer de religion ou de conviction ainsi que la liberté de manifester sa religion ou sa conviction seule ou en commun, tant en public qu’en privé, par l’enseignement, les pratiques, le culte et l’accomplissement des rites. » L’existence même de cet article, ainsi que des dispositions des chartes québécoise (1976) et canadienne (1982) des droits sur la liberté de conscience et de religion, démontrent aussi le risque bien réel que des autorités tentent de confiner à la sphère privée l’association à des fins religieuses ou spirituelles. En ce domaine, les documents fondamentaux du vivre-ensemble contemporain nous rappellent qu’il est essentiel d’agir avec une grande prudence, afin de respecter les droits et la dignité de toutes les personnes.
+ Martin Laliberté, p.m. é.
Évêque de Trois-Rivières
Président de l’Assemblée des évêques catholiques du Québec