Le projet de loi 94 témoigne d’une méconnaissance des convictions religieuses

Alors que débutent les audiences et consultations sur le projet de loi 94 visant à renforcer la laïcité dans le milieu de l’éducation au Québec, les évêques catholiques déplorent la méconnaissance des convictions religieuses dont témoigne l’article 39 du projet de loi.
Nous sommes d’avis qu’un État laïque est souhaitable pour protéger l’égalité de toutes et de tous, ainsi que la liberté de conscience et la liberté de religion. Cela passe par la séparation de l’État et des religions et par la neutralité religieuse de l’État. Cette dernière implique de ne favoriser ni défavoriser aucune religion, sans pour autant éliminer la religion de la sphère publique. La séparation implique une autonomie avérée, sans exclure des relations cordiales, voire des collaborations dans des domaines pertinents, dont le patrimoine religieux ou les services d’animation spirituelle en établissements de détention.
Il nous apparaît évident que le projet de loi 94 repose sur l’idée qu’une influence religieuse est nécessairement négative. Une telle vision est contraire aux principes de laïcité.
Cette conception biaisée est particulièrement visible dans l’article 39, qui propose d’ajouter à la Loi sur l’instruction publique l’interdiction pour toute personne de chercher à influencer un pouvoir ou une fonction en étant motivée par des convictions religieuses. L’article stipule qu’est réputée « motivée par une conviction religieuse » une conduite qui va à l’encontre des quatre principes de la laïcité de l’État (séparation, neutralité, égalité et liberté).
Ici, le projet de loi cherche à limiter l’influence que des employés ou des parents pourraient exercer, selon leurs croyances religieuses, sur des contenus enseignés ou des pratiques. À cet égard, nous croyons que les dispositions obligeant au respect du régime pédagogique sont suffisantes et que l’article 39 est superflu.
Cet article témoigne d’une méconnaissance des convictions religieuses : nous estimons qu’il est possible d’être à la fois motivé par des croyances religieuses et persuadé que la laïcité de l’État est légitime. Comme d’autres communautés de foi, nous appuyons les quatre principes qui la fondent. Nous savons d’ailleurs qu’historiquement, ces principes ont des racines dans la pensée chrétienne, notamment via la croyance en une égale dignité de chaque être humain.
Nous exprimons aussi notre désaccord avec certaines interprétations des conséquences de ces principes, comme la fausse équivalence posée entre le prosélytisme (tenter de convaincre quelqu’un d’adopter sa religion) et le port d’un signe religieux (l’expression vestimentaire d’une croyance). À cet égard, l’insistance sur les vêtements détourne l’attention de l’essentiel : les comportements et les paroles.
Chercher à interdire toute influence parce qu’elle est religieuse est à la fois irréaliste et malavisé. Il est impossible d’identifier avec certitude la nature religieuse d’une motivation. Des gens se sont impliqués au nom de leur foi pour l’abolition de l’esclavage et de la peine de mort, notamment. D’autres, au nom d’une même foi, ont défendu ces pratiques que nous savons aujourd’hui injustes. D’autres encore ont pris un parti ou l’autre pour des raisons qui n’étaient pas religieuses. Comme l’indiquent ces deux exemples, des gens motivés par des convictions religieuses vont parfois à contre-courant de la pensée dominante et participent à la transformer pour le meilleur. De quelles interpellations prophétiques nous priverons-nous en cherchant à débusquer et à refuser toute influence religieuse ? Pensons simplement à l’engagement écologique de plusieurs communautés de foi, qui considèrent la planète comme un don duquel nous devons prendre soin.
À nos yeux, le projet de loi 94 tel que présenté est manifestement antireligieux et ne respecte pas la neutralité de l’État, qui est pourtant un principe fondamental de la laïcité. Pour cette raison, nous demandons que ce projet de loi soit révisé en profondeur.
+ Martin Laliberté, évêque de Trois-Rivières
Président de l’Assemblée des évêques catholiques du Québec
+ Raymond Poisson, évêque de Saint-Jérôme-Mt-Laurier
Conseil Église et Société