COMMUNIQUÉ DE L'ASSEMBLÉE DES ÉVÊQUES À PROPOS DES SIGNES RELIGIEUX
Déclaration des évêques catholiques du Québec
à propos du port de signes religieux par les enseignantes et les enseignants
Montréal, le 6 mars 2019 — Alors que le gouvernement se prépare à légiférer pour encadrer le port de signes religieux par les personnes en position d’autorité au nom de l’État, et plus particulièrement par les enseignantes et les enseignants des écoles publiques, les évêques du Québec jugent à propos de rappeler leur position sur cette problématique et contribuer ainsi au débat.
Cette position a été présentée, entre autres, dans notre document intitulé Catholiques dans un Québec pluraliste, publié en novembre 2012, et dans le mémoire de l’Assemblée des évêques catholiques du Québec sur le Projet de loi n° 60 présenté en décembre 2013, et plus récemment dans la Contribution de l’Assemblée des évêques à la consultation publique organisée par la Commission des Institutions sur le projet de loi 62 en octobre 2016.
Que l’État québécois affirme sa neutralité fait partie de ses prérogatives, et nous respectons sa compétence. Pour peu que cette affirmation de neutralité signifie que l’État n’a pas de préférence en matière de religion, plus précisément qu’il n’est ni pour ou contre telle religion, qu’il n’est pas opposé à la religion en elle-même.
Du même souffle, nous affirmons que l’État québécois se doit de respecter l’engagement pris par les États signataires de la Déclaration universelle des droits de l’homme, adoptée par les Nations Unies en 1948. Cet engagement vise en particulier la garantie que l’État protège et fasse la promotion, par ses lois et ses institutions, du libre exercice des droits et libertés. Parmi ces droits et ces libertés, figure au premier plan la liberté de conscience et de religion, tel que le stipule l’article 18 de cette Déclaration.
Le port de signes ou de vêtements manifestant une appartenance religieuse est un cas évident d’exercice de la liberté de religion. Restreindre de quelque manière que ce soit cette liberté fondamentale ne devrait se faire que sur la base de raisons graves et inattaquables.
À titre d’exemple, et c’est d’ailleurs ce que faisaient ressortir les conclusions de la commission Bouchard Taylor, il est légitime que l’État légifère à propos des personnes qui représentent l’autorité coercitive de l’État, c’est-à-dire qui exercent au nom de l’État sa capacité de restreindre les droits et les libertés de ses citoyens. Les policiers, les avocats de l’État et les juges, par exemple, exercent ce type d’autorité. Une telle autorité doit s’exercer sans aucune ambiguïté possible au nom de la neutralité l’État : il est alors légitime et raisonnable d’interdire aux personnes qui exercent cette autorité particulière de porter quelque signe religieux que ce soit, afin qu’il soit clair que c’est au nom de l’État que cette autorité s’exerce.
Il en va tout autrement des enseignantes et des enseignants. S’ils exercent une autorité sur les enfants qui leur sont confiés, cette autorité n’a pas pour but de restreindre de quelque manière que ce soit les droits et libertés de ces enfants. Leur autorité n’a rien à voir avec celle exercée par les policiers, les avocats et les juges. Ces enseignantes et enseignants partagent la responsabilité d’assurer la neutralité de l’État à l’école, tâche dont ils s’acquitteront par leur compétence et leur professionnalisme.
À notre avis, il est tout aussi légitime que les services rendus par l’État aux citoyens se fassent à visage découvert. Les citoyens doivent avoir comme vis-à-vis un représentant de l’État qui interagit avec eux sur la base de sa compétence, du respect et de l’accueil que l’État réserve à ses citoyens. Le représentant de l’État doit également avoir devant lui un citoyen à visage découvert, condition essentielle à toute rencontre civique.
Par contre, il est erroné de penser qu’une personne qui porte un signe religieux aura nécessairement une attitude prosélyte et qu’une personne qui n’en porte pas ne sera pas prosélyte. Ce sont les actes et les attitudes qui importent, et non pas les apparences extérieures. C’est pourquoi il nous apparaît plus sage et raisonnable d’encadrer les enseignantes et les enseignants dans l’exercice de leur rôle à l’égard de la neutralité de l’école publique. La forme que prend le débat actuel sur le port des signes religieux par les enseignantes et les enseignants des écoles publiques nous fait passer à côté du véritable enjeu de leur responsabilité quant à la neutralité de l’État.
Par ailleurs, nous ne pouvons passer sous silence le fait indéniable qu’une bonne partie de ce débat est engendré par la présence, au milieu de nous, de citoyennes de confession musulmane. À l’évidence même, le débat sur les signes religieux se concentre le plus souvent sur le voile porté par certaines de ces femmes musulmanes.
On a beaucoup insisté, au cours des dernières années, sur l’importance de l’intégration des femmes, et en particulier des femmes issues de communautés culturelles et de minorités visibles dans le monde du travail, dans la fonction publique et plus généralement dans la société. Nous croyons qu’il est du devoir de l’État de tout mettre en œuvre afin que nous puissions, collectivement, avancer sur la voie de cette intégration. Cibler un groupe particulier de femmes ne contribue en rien à ce devoir collectif d’intégration sociale et culturelle.
Face à ces manifestations religieuses légitimes auxquelles nous n’étions pas habitués, il faut, à notre avis, y voir un défi stimulant : celui d’aménager un espace public ouvert et accueillant où puissent s’exprimer, dans le respect mutuel, les valeurs et les croyances des uns et des autres et du coup, s’enrichir mutuellement par ces rencontres. S’il s’agit d’un défi, on peut aussi y voir une occasion favorable et une chance. Une chance de grandir comme collectivité. Une chance même d’ouvrir et de baliser des voies que d’autres sociétés pourront suivre.
Dans cet esprit, l’école est appelée à être un microcosme de notre société. Les enfants y apprendront à apprécier la différence, à y voir une source d’enrichissement réciproque et d’interpellation mutuelle, fondée sur le respect et l’amitié.
Comme le disait si bien le pape François aux jeunes du monde entier réunis en janvier dernier à Panama : « La culture de la rencontre est un appel et une invitation à oser garder vivant un rêve commun. Oui, un grand rêve capable d’abriter tout le monde.[1] »
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